LYDIA LUNCH & MARC HURTADO PLAY ALAN VEGA AND SUICIDE'S SONGS

Publié le 18.11.22 — Par Manon Schaefle

Photoby Helene Cazès

Lydia Lunch et Marc Hurtado reprennent des titres de feu Alan Vega et de SUICIDE, sans décorum obséquieux mais comme prétexte à de nouveaux éclats sonores avec l’énergie volcanique qu’on leur connaît. Iels passeront par la Station le 24 novembre prochain.

Marc Hurtado, qu’on le connaisse peu ou prou, est une figure de l’avant-garde française. Son parcours lui a fait croiser la route de Genesis P-Orridge, Martin Rev et Alan Vega de SUICIDE, Mark Cunningham de Mars, The Hacker, Romain Perrot de Vomir…

Avec son frère Eric Hurtado, ils fondent en 1977 le groupe Étant Donnés. Ils n’ont que 15 et 17 ans et se situent en plein bouillonnement de la nouvelle scène expé et industrielle. « Qu’on nommera industrielle rétrospectivement », tient-il à préciser. Loin d’eux la volonté d'apposer une étiquette sur leur musique. Ils se battent sur scène, maltraitent des instruments, distordent toutes sortes de bruits, font griller les enceintes des salles de concert… bref, mènent leur révolution sonore sans élucubrer. Les expérimentations d’Etant Donnés, d’ADN bruitiste, et leurs performances scéniques agitatrices préfigurent la montée du punk et des genres dits extrêmes (hardcore, black metal, harsh noise…), autant qu’elles s’en émancipent, flirtant avec des influences hybrides et imprévues, parmi lesquelles le disco, les Stooges, les Velvet et surtout la no wave.

La no wave : Lydia Lunch et son groupe de l’époque, Teenage Jesus & the Jerks, sont justement connu·e·s parmi les instigateur·ices de ce courant. Une anti-vibe venue des caves, des salles souterraines de la côte Est, qui ne se veut plus dansante et nonchalamment dépressive comme la new wave et la cold wave, mais déstructurée, dérangeante, anxiogène et enragée.

Teenage Jesus and the Jerks c’est du protopunk, ou du punk décadent, épuré, sans fioritures. A la fois brut et violent, dépouillé, aride à l’écoute. Un son qui a incorporé la tuyauterie et la froideur du béton urbain. Avec des textes brillants de désespoir, déclamés par la voix de Lydia Lunch. On y trouve un crossover de punk, poésie Beat, spoken word et de hurlements crachés du fond des tripe

Photo by Sebastien Greppo

Marc Hurtado / Lydia Lunch

C’est à l’adolescence que Marc Hurtado découvre la musique de Lydia et les Teenage Jesus, dans les bacs d’un disquaire. Elle l’accompagne dès lors dans ses oreilles, sa tête, son imagination parasitée par des idées noires. Il s’en souvient, comme nostalgique d’une époque qui a pourtant failli avoir sa peau : « Tu vas à l’école, tu écoutes toute la journée des profs qui essaient de te mettre tout un discours en tête, essayent de te “construire”. A chaque fois que j’en sortais, j’essayais de démolir ça en me déconstruisant avec Lydia Lunch, Teenage Jesus et toutes ces choses là. (…) J’étais amoureux de sa voix, de sa force, sa violence. Je me reconnaissais totalement en elle. Je pensais quasiment tous les jours à me jeter par la fenêtre, j’avais ce même cri en moi. »

Ce qui le marque le plus chez la jeune chanteuse ? Sa voix, « qui n’était pas du chant mais des cris ». Il poursuit : « Teenage Jesus, il y a deux formules d’écoute : soit tu hais soit tu adores. C’est tellement violent et profond comme si on te foutait des sortes de coups de couteau dans le ventre. En même temps, tu vois bien qu’il y a une énorme tendresse derrière. »

Photo by Sebastien Greppo

My Lover The Killer (1/2) : l’album 

Hurtado rencontre enfin son idole en 1999 en l’invitant à collaborer sur l’album d'Étant Donnés Re-up. Les deux se retrouvent ensuite des années plus tard et sortent en 2016 l’album My Lover The Killer. La relation artistique et amicale qui unit Lydia Lunch et Marc Hurtado est une histoire marquée au fer rouge, par l’amour mais aussi la violence. De l’amour naissant dans l’épreuve commune de la violence. Sans compter la mort, qui n’a jamais cessé de s’immiscer dans leur vie. Entre elleux, une entente surnaturelle, quasi télépathique, comme « frère et soeur de douleur », ainsi qu’iels se surnomment.

Il retrace : « Au début, c’est moi qui ai proposé à Lydia de faire un album ensemble. J’ai commencé à enregistrer des tonnes de musique. Elle m’a envoyé un texte, puis un deuxième. Et les deux parlaient d’une même personne : un ancien amant, violent, dont Lydia était très amoureuse. Elle avait dû s’en séparer parce qu’il était devenu vraiment dangereux pour elle. S’enfuir de New York jusqu’à LA puis jusqu’à Londres pour essayer d’échapper à ses griffes. Au moment où je l’ai contactée, elle avait entamé des recherches sur lui. Elle venait d’écrire un scénario sur leur histoire (…). Elle lui a proposé d’aller boire un verre. Iels ne se sont finalement jamais vu·es. »

La cause de ce rendez-vous manqué ? La réapparition de Lydia Lunch a fait naître une violente dispute entre son ex-conjoint et sa compagne. Jusqu’à ce que l’homme tue cette dernière, puis se suicide. Hurtado raconte que le titre de leur album, My Lover the Killer, avait été trouvé quelques jours avant le meurtre. La fiction est devenue réalité…

My Lover The Killer (2/2) : le film, ou comment clore la boucle infernale

Ce meurtre, Lydia Lunch y revient à plusieurs reprises dans le film My Lover The Killer (2020) un long-métrage réalisé par Marc Hurtado pendant la tournée de leur album commun, prenant pour point focal Lydia Lunch. Il en parle comme d’une « façon de baisser le rideau », et de tirer un trait sur cette période : « My Lover The Killer est une sorte de grand opéra noir qui aura duré de l’été 2012, au moment où j’ai pris contact avec Lydia, en passant par l’assassinat en novembre jusqu’à fin du film en 2019. »

La musicienne n’avait aucune idée du type de  film qu’il réalisait. Cela s’est fait naturellement, la caméra comme captivée, happée par le charisme et la voix de Lunch guidant le·a spectateur·ice dans le film à la manière d’un fil rouge. « La mort est au milieu de tout ça, résume Marc Hurtado. Le film n’a pas de portée autobiographique. C’est un poème entre Lydia et moi, cette liaison qui se construit avec le disque, le meurtre, et la vie après tout ça. La vie qui reprend toujours le dessus. »

My Lover The Killer a été filmé avec une vieille caméra DV récupérée par Marc Hurtado au décès de son oncle. Il y trouve une granulation, des défauts qui lui plaisent : « J’aime la saleté de l’image. Il y a de la vie là dedans, c’est comme dans la rue, c’est une couche de poussière qui vole au-dessus des merdes qu’on fait. »

Alan Vega, SUICIDE… célébrer la vie

Iels ont déjà tourné ensemble, ont produit un album ensemble…. Alors pourquoi à nouveau monter sur scène avec des morceaux qui ne sont pas d’elleux ? Dans leur histoire, Alan Vega occupe une place prépondérante. Celle d’un père pour ceux qui rejettent toute figure paternelle. Qui refusent de se faire les successeur·euses, les héritier·ières de quiconque.

Marc Hurtado se souvient avoir été transporté en écoutant pour la première fois SUICIDE  : « J’ai acheté l’album dans un supermarché. C’est la pochette qui m’a attiré, avec le mot SUICIDE écrit en lettres de sang. Puis j’ai écouté (…) Une musique comme venue d’ailleurs. Un synthétiseur qui joue quelque chose de très organique, très sale, avec un son hyper moderne. Et cette voix incroyable d’Alan Vega, aussi douce que violente. D’une rage, d’une puissance, d’une émotion incroyable... quelque chose de ravageur. Comme si Elvis Presley était transporté au milieu de l’apocalypse. »

SUICIDE est le premier groupe que Lydia Lunch voit sur scène quand elle débarque toute seule à New York à 15 ans. Elle fuit alors sa famille, un cadre extrêmement violent. Après ça, Alan Vega et Martin Rev l’ont souvent accueilli chez eux.

En reprenant les titres de leurs idoles et amis, iels révèlent une nouvelle dimension de l’énergie qui les anime. Prendre du plaisir, se laisser transporter…  « On n’est pas dans la démarche d’essayer de redonner vie à Alan Vega, ni dans l’hommage. On est juste dans une nouvelle interprétation, une interprétation personnelle, Lydia et moi, de personnages qu’on adore et de leur musique. Il n’y a rien de mortifère là-dedans. On célèbre la vie. On célèbre l’énergie de SUICIDE, d’Alan Vega. J’ai toujours pensé que le groupe aurait pu s’appeler LIFE. Le mot suicide ne parle que du suicide de la société, non d’une glorification du suicide. J’y ai toujours vu énormément de lumière. Un peu comme dans les peintures de Soulages. Ce n’est que du noir mais on n’y voit que de la lumière. J’ai toujours vu beaucoup de lumière dans les choses les plus sombres. »